Aux jours où les feuilles jaunissent,
Aux jours où les soleils finissent,
Hélas ! nous voici revenus ;
Le temps n’est plus, ma-bien-aimée,
Où sur la pelouse embaumée
Tu posais tes pieds blancs et nus
.
L’herbe que la pluie a mouillée
Se traîne frileuse et souillée ;
On n’entend plus de joyeux bruits
Sortir des gazons et des mousses ;
Les châtaigniers aux branches rousses
Laissent au vent tomber leurs fruits.
Sur les coteaux aux pentes chauves,
De longs groupes d’arbustes fauves
Dressent leurs rameaux amaigris ;
Dans la forêt qui se dépouille,
Les bois ont des teintes de rouille ;
L’astre est voilé, le ciel est gris.
Cependant, sous les vitres closes,
Triste de la chute des roses,
Il n’est pas temps de s’enfermer ;
Toute fleur n’est pas morte encore ;
Un beau jour, une belle aurore
Au ciel, demain, peut s’allumer.
La terre, ô ma frileuse amie !
Ne s’est point encore endormie
Du morne sommeil de l’hiver…
Vois ! la lumière est revenue :
Le soleil, entr’ouvrant la nue,
Attiédit les moiteurs de l’air.
Sous la lumière molle et sobre
De ces soleils calmes d’octobre,
Par les bois je voudrais errer !
L’automne a de tièdes délices :
Allons sur les derniers calices,
Ensemble, allons les respirer !
Je sais dans la forêt prochaine,
Je sais un site au pied du chêne
Où le vent est plus doux qu’ailleurs ;
Où l’eau, qui fuit sous les ramures,
Échange de charmants murmures
Avec l’abeille, avec les fleurs.
Dans ce lieu plein d’un charme agreste,
Où pour rêver souvent je reste,
Veux-tu t’asseoir, veux-tu venir ?
Veux-tu, sur les mousses jaunies,
Goûter les pâles harmonies
De la saison qui va finir ?
Partons ! et, ma main dans la tienne,
Qu’à mon bras ton bras se soutienne !
Des bois si l’humide vapeur
Te fait frissonner sous ta mante,
Pour réchauffer ta main charmante
Je la poserai sur mon cœur.
Et devant l’astre qui décline,
Debout sur la froide colline,
Et ton beau front penché sur moi,
Tu sentiras mille pensées,
Des herbes, des feuilles froissées
Et des bois morts, monter vers toi.
Et devant la terne verdure,
Songeant qu’ici-bas rien ne dure,
Que tout passe, fleurs et beaux jours,
A cette nature sans flamme
Tu pourras comparer, jeune âme,
Mon cœur, pour toi brûlant toujours !
Mon cœur, foyer toujours le même,
Foyer vivant, foyer qui t’aime,
Que ton regard fait resplendir !
Que les saisons, que les années,
Que l’âpre vent des destinées
Ne pourront jamais refroidir !
Et quand, noyés de brume et d’ombre,
Nous descendrons le coteau sombre,
Rayon d’amour, rayon d’espoir,
Un sourire, ô ma bien-aimée !
Jouera sur ta lèvre embaumée
Avec les derniers feux du soir.
Auguste Lacaussade, Poèmes et Paysages
A propos de l’auteur :
Auguste Lacaussade naît le 8 février 1815 à Saint-Denis de l’île Bourbon (île de la Réunion). Il est le fils d’un avocat bordelais et d’une métisse affranchie.
Lui étant interdit d’intégrer le collège Royal des Colonies à cause de ses origines maternelles, il est ce qu’à l’époque on appelle un quarteron, c’est-à dire ayant un quart de sang de couleur. A l’âge de 10 ans il part effectuer sa scolarité dans un collège de Nantes. Le racisme subi va marquer profondément et influencer toute sa vie. Il choisira comme arme la poésie pour dénoncer les préjugés de la société réunionnaise et laver l’affront subi par sa mère.
Ses études secondaires terminées, il revient à la Réunion, mais son intégration dans la société esclavagiste de l’époque se révèle très difficile. Il repart donc pour Paris pour poursuivre son combat en faveur de l’abolition de l’esclavage. Il sait que dans la capitale sa prise de parole peut avoir une réelle audience auprès des grands esprits susceptibles de s’investir pour changer les choses dans les colonies à esclaves.
A partir de 1844, il devient le secrétaire de Sainte-Beuve et rejoint le camp des abolitionnistes groupés autour de Victor Schœlcher. Il collabore à plusieurs revues parisienne et est nommé par la suite à plusieurs postes successifs de bibliothécaire. Le dernier, bibliothécaire du Sénat, sera le poste qu’il va occuper jusqu’à sa mort.
Ses deux principaux recueils, dans lesquels il condamne avec vigueur l’esclavage et le racisme, sont « Les Salaziennes »(1839) et « Poème et Paysage » (1852). Polyglotte, il traduit aussi plusieurs œuvres de poètes étrangers, entre autres de Giacomo Leopardi et de James Macpherson.
Il reçoit le Prix Maillé-Latour-Landry en 1850 et le Prix Bordin en 1862. Il est nommé Chevalier de la Légion d’honneur en 1860.
Il meurt le 31 juillet 1897 à Paris. Il est inhumé le 2 août 1897 au cimetière du Montparnasse. En 2006 sa dépouille est ramenée à la Réunion et repose dans le cimetière paysager d’Hell-Bourg à Salazie, village dans les Hauts de La Réunion. ( source -Poetica)
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