Forêt silencieuse, aimable solitude,
Que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré !
Dans vos sombres détours, en rêvant égaré,
J’éprouve un sentiment libre d’inquiétude !
Prestiges de mon cœur ! je crois voir s’exhaler
Des arbres, des gazons une douce tristesse :
Cette onde que j’entends murmure avec mollesse,
Et dans le fond des bois semble encor m’appeler.
Oh ! que ne puis-je, heureux, passer ma vie entière
Ici, loin des humains !… Au bruit de ces ruisseaux,
Sur un tapis de fleurs, sur l’herbe printanière,
Qu’ignoré je sommeille à l’ombre des ormeaux !
Tout parle, tout me plaît sous ces voûtes tranquilles ;
Ces genêts, ornements d’un sauvage réduit,
Ce chèvrefeuille atteint d’un vent léger qui fuit,
Balancent tour à tour leurs guirlandes mobiles.
Forêts, dans vos abris gardez mes vœux offerts !
A quel amant jamais serez-vous aussi chères ?
D’autres vous rediront des amours étrangères ;
Moi de vos charmes seuls j’entretiens les déserts.
François-René de Chateaubriand, Tableaux de la nature, 1784-1790
F.R.de Chateaubriand ; né le 4 septembre 1768 à Saint-Malo. Issu d’une famille aristocratique aisée, il entame une carrière militaire, puis fait son entrée à la cour à l’âge de 19 ans. À Paris, il fréquente les écrivains de son époque. Il est témoin des premiers signes d’agitation de la Révolution française, et assiste, deux ans plus tard à la prise de la Bastille. Après un voyage d’un an en Amérique, Chateaubriand rentre à Saint-Malo et se marie. Blessé alors qu’il combat les armées de la République naissante, il s’exile à Londres. Sa femme est emprisonnée, et une partie de sa famille, restée en France, est guillotinée. Il rentre en France en 1800 et s’installe à Paris, loin de sa femme et de sa sœur, restées dans le château familial de Combourg en Bretagne. ( source L’internaute)